Cinq ans après l’adoption de laloi pionnière sur le devoir de vigilance des sociétés-mères et des entreprises donneuses d’ordre, la proposition de la Commission était attendue de toute part depuis l’annonce, en avril 2020, d’une directive sur le sujet par le Commissaire européen à la justice, Didier Reynders. Le Parlement européen avait lui-même, en mars 2021, adopté à une forte majorité une résolution appelant la Commission à légiférer.
Comme la loi française, la proposition de la Commission prévoit de contraindre les entreprises à mettre en place des mesures de prévention des atteintes aux droits humains et à l’environnement commises par leurs filiales, leurs fournisseurs et leurs sous-traitants directs et indirects. En cas de manquement, leur responsabilité pourrait être engagée, et elles pourraient être tenues d’indemniser les personnes affectées.
Si nous saluons la publication de ce texte, il comporte en l’état de nombreuses failles qui pourraient remettre en question l’effectivité du devoir de vigilance. Le lobbying intense des organisations patronales européennes semble avoir laissé sa marque.
En particulier, la proposition repose largement sur l’adoption de codes de conduite par les entreprises, l’insertion de clauses dans les contrats avec leurs fournisseurs et le recours à des audits privés et à des initiatives sectorielles. Or c’est précisément l’inefficacité de ces mesures qui a mené nos organisations, il y a plus de dix ans, à plaider pour un devoir de vigilance contraignant. Ces dispositions sont autant de failles dans lesquelles les entreprises pourraient s’engouffrer pour échapper à toute responsabilité.
Les demandes de la société civile visant à garantir l’accès à la justice et à la réparation pour les personnes affectées n’ont été qu’en partie entendues. Même si les entreprises pourront être tenues responsables en cas de dommage, en l’état actuel du texte, la charge de la preuve repose encore sur les victimes, à qui il revient de démontrer que l’entreprise a manqué à ses obligations. De plus, la possibilité aujourd’hui prévue par loi française de saisir le juge, avant tout dommage, afin qu’il enjoigne à une entreprise de respecter ses obligations de prévention, n’est pas explicitement envisagée dans la proposition de la Commission.
La Commission propose en outre une approche très restrictive en matière environnementale, qui pourrait exclure du champ de la directive certaines atteintes à l’environnement aujourd’hui couvertes par la loi française [3]. Elle se limite à imposer aux entreprises d’établir un plan en matière climatique, et passe donc complètement à côté de l’urgence à réguler les trajectoires climaticides des grandes entreprises.
Enfin, contrairement aux ambitions initiales de la Commission européenne, cette proposition ne prévoit pas non plus de réforme en profondeur de la gouvernance des grandes entreprises.
Après de longs mois d’attente, il revient désormais au Parlement européen et aux Etats membres d’amender la proposition de la Commission et de négocier le texte. Nos organisations continueront de se mobiliser pour que les dispositions finales de la directive permettent de mettre fin à l’impunité des multinationales et facilitent l’accès à la justice pour les personnes affectées.
Contacts presse
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